Cour des comptes : pas de mauvais procès à l’octroi de mer
Les finances publiques sont au cœur des préoccupations lors de la visite officielle à La Réunion du premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Celui-ci insiste sur le fait que la juridiction n’a jamais préconisé la suppression de l’octroi de mer, mais plutôt une réforme nécessaire et concertée pour garantir la stabilité financière des territoires ultramarins. Cette réforme, selon lui, est essentielle pour assurer une gestion saine et pérenne des ressources financières des collectivités d’outre-mer. Il met ainsi en avant l’importance d’une collaboration entre les différentes parties prenantes pour trouver des solutions durables et efficaces face aux défis économiques et budgétaires auxquels sont confrontés ces territoires. En définitive, l’objectif est d’assurer une gestion transparente et responsable des finances publiques, dans le respect des spécificités de chaque région ultramarine.
-Selon les informations de l’Insee, le déficit public de la France a atteint 5,5% du Produit Intérieur Brut en 2023, dépassant ainsi de 15,8 milliards d’euros les prévisions gouvernementales. Cette situation complexifie la réalisation de l’objectif de désendettement réaffirmé par le ministre de l’Economie. Ce dérapage est qualifié de « très rare » en raison de l’importance de la dette publique française, l’une des plus élevées en Europe. Cette réalité nous contraint à revoir nos trajectoires et à être transparents avec les citoyens. Quelle est cette vérité à laquelle vous faites référence ?
La vérité est que nos finances publiques se trouvent dans une situation de dégradation inquiétante. Nous présentons un certain nombre de caractéristiques qui nous fragilisent. Avec un niveau de dépenses publiques atteignant 57% du PIB, nous dépassons de huit points la moyenne européenne sans avoir retrouvé le niveau d’avant la crise du Covid. En tant que troisième dette publique de la zone euro, derrière la Grèce et l’Italie, notre dette diminue lentement. Alors que la dette grecque devrait perdre 20 points en trois ans, la France ne devrait en perdre que deux si les prévisions se réalisent. Nous affichons également le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe, dépassant les 43%. En 2023, notre déficit atteint 5,5% du PIB, bien au-dessus des grandes économies de la zone euro. Des pays comme l’Espagne ou le Portugal, pourtant réputés expansifs et laxistes, devraient afficher des déficits inférieurs à 3% et 1,2% respectivement en 2024. Des mesures doivent être prises sans plus tarder, des mesures qui ont été reportées pendant trop longtemps. Elles sont absolument nécessaires, d’abord pour des raisons de crédibilité européenne. En effet, un endettement excessif entraîne une augmentation du coût de la dette, qui sera multiplié par plus de trois entre 2021 et 2027, passant de 25 milliards à 85 milliards d’euros. Chaque euro consacré au remboursement de la dette est un euro qui ne peut pas être investi dans des secteurs essentiels tels que la transition écologique, la recherche, l’innovation, l’industrie, la justice ou la sécurité. Peu importe les priorités collectives, il est impossible de mener une politique publique efficace sans des finances publiques saines. Il est impératif d’agir dès maintenant. C’est pourquoi j’ai plaidé en faveur d’une trajectoire axée non pas sur l’austérité, mais sur la rigueur budgétaire et l’équilibre des finances publiques.
Il est crucial d’informer les Français de la situation actuelle, des raisons qui nous ont menés jusque-là et des solutions pour en sortir. Prendre de telles décisions demande de la volonté politique et du courage, car elles ne sont pas populaires. Il faut agir avec intelligence afin de ne pas compromettre la croissance et de ne pas miner la cohésion sociale. Les économies doivent être réalisées là où elles sont les plus pertinentes, c’est-à-dire sur les dépenses de moindre qualité. De plus, il est essentiel de communiquer de manière pédagogique. Les Français ont une conscience intuitive du problème de la dette, mais il est essentiel de leur expliquer continuellement son importance et les enjeux qui en découlent.
-Comment réduire nos déficits sans compromettre la croissance ni remettre en cause le modèle social français protecteur ?
La croissance demeure la principale source de réduction du déficit à long terme. C’est pourquoi des pays comme l’Espagne ou le Portugal voient leurs déficits diminuer rapidement grâce à une croissance de 2,5%, alors que la France affiche une croissance de 0,7 à 1%. Il est primordial de maîtriser les dépenses sans toucher à celles qui ont un impact direct sur la croissance, telles que l’innovation, la recherche, la transition énergétique, l’équilibre social ou les investissements dans le domaine de la santé. Il est nécessaire de préserver les conditions de la croissance.
-Le gouvernement semble exclure toute augmentation des impôts pour les Français. Cette position est-elle réaliste ?
Il est important d’ouvrir le débat sur la question des impôts, sans que cela soit un sujet tabou. Les Français ont le sentiment d’être fortement taxés, et il est vrai que le taux de prélèvements obligatoires en France est le plus élevé d’Europe. Il n’est donc pas envisageable de considérer la fiscalité comme une solution miracle. Cependant, des discussions doivent être menées démocratiquement pour envisager certaines augmentations d’impôts. Par exemple, la mise en place d’une contribution sur les revenus infra-marginaux des entreprises énergétiques ou la question d’une taxe sur les super-profits. Bien que ces mesures ne permettent pas de réduire massivement le déficit public, elles peuvent contribuer à sa diminution. Le troisième levier d’action réside dans la maîtrise des dépenses publiques. Il est nécessaire d’examiner chaque politique publique afin de préserver celles qui fonctionnent bien, d’augmenter celles qui sont insuffisantes et de réduire celles qui ne sont pas efficaces. Enfin, il est essentiel que tous les niveaux de l’Etat, des collectivités locales et de la sécurité sociale contribuent de manière équitable à ces efforts.
-Les collectivités locales ont affirmé qu’elles refuseraient de participer aux efforts d’économie. Cette position est-elle raisonnable ?
Il ne semble pas judicieux de considérer les collectivités locales comme la principale source d’économies à réaliser. Cependant, il est possible d’agir sur certaines dépenses au niveau local. Un rapport a été confié à Eric Woerth et la Cour des comptes a été sollicitée pour examiner les dépenses des collectivités locales. De plus, un haut conseil des finances publiques locales se réunira prochainement. Il est nécessaire de réfléchir collectivement aux mesures à prendre. Fixer des lignes rouges dès le début des discussions n’est pas plus raisonnable que se résigner à l’impuissance. Il existe une voie intermédiaire intelligente qui consiste à réaliser des économies là où c’est possible.
« LES FRANÇAIS ONT LE SENTIMENT COLLECTIF QU’ILS PAIENT SUFFISAMMENT D’IMPÔTS »
-Pourquoi la situation de la France est-elle si précaire ?
La situation actuelle découle en partie d’une dimension historique. La France a une forte propension à la dépense publique, un modèle collectif qui fait que nous n’avons pas présenté un budget à l’équilibre depuis 1974 sous la présidence de Georges Pompidou. Nous avons abordé la crise avec un niveau de dépenses et de dettes plus élevé que d’autres pays. De plus, nous avons suivi la tendance générale avec les mesures prises pendant la crise du Covid. Celles-ci étaient totalement justifiées, mais ont contribué à aggraver notre situation financière. Il est crucial de mettre en place des mesures efficaces pour redresser la situation et préserver l’équilibre de nos finances publiques.
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source informationnelle : clicanoo.re
rédaction : intelligence artificielle